Page:La Vie littéraire, I.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient nés, sans affectation, simplement, fermement, ils vécurent une vie particulière, spéciale, faite de rigoureuses observances, de dures privations, de pénibles pratiques, comme ces personnes pieuses qui, mêlées à la foule et habillées comme elle, observent les règles monastiques de la congrégation à laquelle elles sont secrètement affiliées. À cet égard, le Journal des Goncourt est un document unique. Je ne veux point examiner ici si cet ascétisme littéraire n’a pas, au point de vue de la conception et de l’exécution des livres, de sérieux inconvénients. Mais on comprend mieux, quand on a lu le Journal de 1851 à 1861, comment une culture excessive de l’appareil nerveux, une tension constante de l’œil et du cerveau a produit « cette écriture artiste » que M. Edmond de Goncourt se reconnaît justement, et cette notation minutieuse des sensations qui est le caractère le plus saillant de l’œuvre des deux frères. Leur pensée et leur style, créés dans une atmosphère spéciale, n’ont pas la gaieté du grand air et la joie facile des formes que mûrit le soleil. Mais c’est chose rare et c’est chose respectable ; car l’un d’eux est mort de l’avoir trouvée. Le Journal nous explique comment.