Page:La Vie littéraire, I.djvu/157

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chasse devant moi le ciel agité. Otto de Bismarck ! Quel homme ! quelle destinée !

Il est né, on le sait, au cœur de la Prusse, sur cette vaste plaine de sable où règnent de rudes et longs hivers, et qui nourrit de sombres forêts. Il est junker, c’est-à-dire gentilhomme campagnard, issu d’une longue lignée de cavaliers, grands chasseurs, grands buveurs, fortes têtes. L’un d’eux, Rulo, fut excommunié en 1309 pour avoir ouvert une école laïque. Le fils de celui-là fut un grand politique. On grava sur sa tombe cette simple épitaphe : Nicolaus de Bismarck, miles. Soldats, ils le sont tous. Ils sont cuirassiers, dragons, carabiniers. Au reste, aussi aptes à négocier qu’à se battre. Avec une main de fer, ils ont l’esprit délié. Ils sont violents et rusés. Ce double caractère se retrouve dans le plus grand d’entre eux. Otto de Bismarck montra dès la jeunesse un esprit indomptable. Envoyé par son père en 1832 à l’Université de Gœttingue, il n’était pas arrivé depuis vingt-quatre heures qu’il avait déjà fait mille extravagances. Cité devant le recteur, il se présenta dans un costume désordonné, en compagnie d’un dogue féroce et démuselé. À Berlin, où il alla ensuite, il n’entendit aucun professeur et ne suivit pas même le cours de droit de l’illustre Savigny. Il passait son temps à boire, à fumer et à se battre au sabre. Il lui arriva de se battre vingt-huit fois en trois semestres. Chaque fois, il toucha son adversaire et ne reçut lui-même qu’une seule blessure, dont il porte encore une cicatrice à la