Page:La Vie littéraire, I.djvu/167

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détesté que moi de la Garonne à la Néva (1874). » Il sait qu’en Prusse même, il serait maudit si la victoire n’avait assuré ses desseins. « Que nous soyons vaincus, disait-il avant Sadowa, et les femmes de Berlin me lapideront à coups de torchons mouillés. »

Pour comble de misère, cet homme qui a tant agi ne découvre plus, à la réflexion, de raisons d’agir en ce monde. Il ne trouve même plus un sens possible à la vie. « Que la volonté de Dieu soit faite ! écrit-il en 1856. Tout n’est ici-bas qu’une question de temps ; les races et les individus, la folie et la sagesse, la paix et la guerre vont et viennent comme les vagues, et la mer demeure. Il n’y a sur la terre qu’hypocrisie et jonglerie ! Que ce masque de chair nous soit arraché par la fièvre ou par une balle, il faut qu’il tombe tôt ou tard ; alors apparaîtra entre un Prussien et un Autrichien une ressemblance qui rendra très difficile de les distinguer l’un de l’autre. »

Vingt ans plus tard, dans une heure intime et solennelle, il sentit lui monter au cœur l’épouvante et l’horreur de son œuvre. C’était à Varzin. Le jour tombait. Le prince, selon son habitude, était assis après son dîner, près du poêle, dans le grand salon où se dresse la statue de Rauch : la Victoire distribuant des couronnes. Après un long silence, pendant lequel il jetait de temps à autre des pommes de pin dans le feu et regardait droit devant lui, il commença tout à coup à se plaindre de ce que son activité politique ne lui avait valu que peu de satisfaction et en-