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Page:La Vie littéraire, I.djvu/238

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Un si beau talent ne s’était pas formé sans étude. Carrel avait beaucoup lu et beaucoup réfléchi. Il avait mis dans le bateau de pêche qui l’avait porté en Espagne une trentaine de volumes choisis qu’il lisait au bivouac, entre deux alertes, imitant ainsi les grands capitaines, auxquels il ressemblait par la promptitude et l’audace de l’intelligence autant que par la fermeté du cœur. Aussi montra-t-il, jeune encore, un esprit bien armé. Il avait gardé de son premier état un vif amour des choses militaires, et, bien qu’il ait traité avec talent d’innombrables sujets de politique, d’économie sociale et de littérature, ses plus belles pages sont inspirées par l’art de la guerre. L’article, entre autres, qu’il consacra en 1832 aux Mémoires de Gouvion Saint-Cyr est un mâle chef-d’œuvre qui devrait être étudié et commenté dans nos écoles militaires. Il commence par ces mots : « On persuaderait difficilement aux hommes, et surtout aux hommes de notre temps, qui ont vu beaucoup de militaires, que l’art de la guerre est celui de tous peut-être qui donne le plus d’exercice à l’esprit. Cela est pourtant vrai, et ce qui fait cet art si grand, c’est qu’il exige le caractère autant que l’esprit, et qu’il met en action et en évidence l’homme tout entier. » J’éprouve un véritable malaise à ne pouvoir tout citer.

Derrière l’écrivain on sentait l’homme. Carrel répondit toujours de ce qu’il écrivait. Sa polémique ardente le conduisit trois fois sur le terrain. Il met-