Page:La Vie littéraire, I.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

siècle, comme Candide ou Zadig marque aujourd’hui dans celle du XVIIIe.

Après M. Ernest Renan, avec quelques autres, M. Jules Lemaître répète, sous les formes les plus ingénieuses, le mot profond du vieux fonctionnaire romain : « Qu’est-ce que la vérité ? » Il admire les croyants et il ne croit pas. On peut dire qu’avec lui la critique est décidément sortie de l’âge théologique. Il conçoit que sur toutes choses il y a beaucoup de vérités, sans qu’une seule de ces vérités soit la vérité. Il a, plus encore que Sainte-Beuve, de qui nous sortons tous, le sens du relatif et l’inquiétude avec l’amour de l’éternelle illusion qui nous enveloppe. Un vieux poète grec a dit : « Nous sommes agités au hasard par des mensonges ; » de cette idée, M. Jules Lemaître a tiré mille et mille idées, et comme une philosophie éparse dans des feuilles détachées.

C’est la philosophie d’un honnête homme. Vous entendez bien ce mot. Quand je dis honnête homme, je dis un esprit dont le commerce est doux et sûr, une intelligence qui ne connaît point la peur, une âme souriante et pleine d’indulgence. M. Jules Lemaître est tout cela. En ajoutant qu’il a l’ironie légère et le sensualisme délicat, bien qu’un peu vif, j’aurai fait l’esquisse de son portrait. En dépit de sa belle culture classique, il ne tient pas trop au passé. Nous l’avons bien vu un jour que nous eûmes l’idée de le mener voir, aux beaux-arts, l’Hermès de Praxitèle et les frontons du Parthénon. Nous étions trois mortels