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GEORGE SAND.

celui qui représente la passion. Pourquoi ? parce que le vice est plus facile à suggérer que la passion ; parce qu’il s’insinue lentement et sourdement ; parce qu’enfin il est à la portée des âmes communes. Le roman du vice, madame Sand ne l’a jamais écrit.

Madame Sand demeura toujours bien persuadée que la grande affaire des hommes, c’est l’amour. Elle avait raison à moitié. La faim et l’amour sont les deux axes du monde. L’humanité roule tout entière sur l’amour et la faim. Ce que Balzac a vu surtout dans l’homme, c’est la faim, c’est-à-dire le sentiment de la conservation et de l’accroissement, l’avarice, la cupidité, les ambitions matérielles, les privations, les jeûnes, les indigestions, les grandeurs de chair. Il a montré avec une extrême précision toutes les fonctions de la griffe, de la mâchoire et de l’estomac, toutes les habitudes de l’homme de proie. George Sand n’a pas moins de grandeur, pour ne nous avoir montré que des amoureux. Carlyle dit, dans un passage cité par Arvède Barine, que « toute l’affaire de l’amour est une si misérable futilité, qu’à une époque héroïque, personne ne se donnerait la peine d’y penser. » Le vieux Carlyle est bien détaché. Pourtant, il semble que la nature entière n’ait d’autre but que de jeter les êtres dans les bras l’un de l’autre et de leur faire goûter, entre deux néants infinis, l’ivresse éphémère du baiser.