Page:La Vie littéraire, I.djvu/55

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jouer, se tordre de plaisir, hurler de douleur et finalement s’évaporer les animalcules anthropomorphiques dont la naissance avait précédé la sienne. Ils s’évanouissaient alors spontanément avec une toute petite détonation. Autrement dit, ils crevaient, et il n’en restait plus rien qu’une goutte de liquide, larme ou sang, que l’air absorbait aussitôt. La Bête ne s’en rassasiait pas. Pour aller plus vite, elle en écrasait sous ses pieds, elle en déchirait avec ses ongles, elle en broyait avec ses dents, elle en étouffait sur son sein. Ceux-ci étaient les plus heureux et les plus enviés[1]… »

Voilà le monstre ! Tout ce que l’apôtre, le prophète peut dire pour nous rassurer, c’est que la Bête dévorera ce qui doit périr, ce qui est condamné à mort pour incapacité morale, et que les purs, les forts, les bons, ceux enfin qui sont dignes de vivre survivront seuls. C’est précisément ce que les darwiniens appellent la sélection naturelle. Mais elle agit lentement, et, à juger par ce qu’elle a produit jusqu’ici, on ne peut espérer qu’elle nous délivre prochainement des méchants et des imbéciles.

Oh ! que M. Dumas est un moins suave docteur que M. Renan ! Il ne s’attaque pas seulement à la Bête. Il en veut à l’amour lui-même, à l’amour tel que nous le menons d’ordinaire. Lebonnard conclut, dans la Visite de Noces, que « cela finit par la haine de la femme et le mépris de l’homme ». Et Lebonnard

  1. À M. Cuvillier-Fleury, Édition des Comédiens, T. V, page 248.