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M. GUY DE MONTPASSANT.

roussi et hérissé. Enfin le paysan que nous voyons tous et que nous sommes étonnés de voir près de nous, tant il nous semble différent de nous. Il y a quinze ans environ, un jour d’été, nous nous promenions, M. François Coppée et moi, sur une petite plage normande à demi déserte, sauvage, triste, où le chardon bleu des grèves séchait dans le sable. Au milieu de notre promenade, nous rencontrâmes un homme du pays, cagneux, tordu, disloqué, pourtant robuste, avec un cou pelé de vautour et un regard rond d’oiseau. En marchant, il faisait à chaque pas une grimace énorme et qui n’exprimait absolument rien. Je ne pus m’empêcher de rire ; mais, ayant interrogé d’un coup d’oeil mon compagnon, je lus sur son visage une telle expression de pitié, que j’eus honte de ma gaieté si peu partagée.

— Il ressemble à Brasseur, dis-je assez platement, pour m’excuser.

— Oui, me répondit le poète, et Brasseur fait rire. Mais celui-là n’est pas laid pour rire. C’est pourquoi je ne ris pas.

Cette rencontre avait donné à mon compagnon une sorte de malaise. M. de Maupassant, qui est aussi un poète, ne souffre-t-il point de voir les hommes tels que ses yeux et son cerveau les lui montrent, si laids, si méchants et si lâches, bornés dans leurs joies, dans leurs douleurs et jusque dans leurs crimes, par une irrémédiable misère ? Je ne sais. Je sais seulement qu’il est pratique, qu’il ne baye point aux nuées, et