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Page:La Vie littéraire, I.djvu/91

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Quel étouffoir pour toute espèce de talent ! » Il s’écriait : «  Solitude ! solitude ! plus nécessaire encore à mon talent qu’à mon bonheur. — Je ne puis dépeindre ma joie d’être seul. » Et, le lendemain, il se rejetait dans le monde, où son orgueil, la sécheresse de son cœur et la délicatesse de son esprit lui préparaient de rares tortures. Un jour, voyant clair dans l’abîme de son âme, il s’écria : « Au fond, je ne puis me passer de rien ! » Il lui fallait tout, et il manquait de tout. Joie, vertu, bonheur, fierté, contentement, tout se desséchait entre ses doigts arides. Et il en avait d’étranges impatiences : « C’est trop fort de n’avoir ni le plaisir auquel on sacrifie sa dignité, ni la dignité à la quelle on sacrifie le plaisir ! » Que n’a-t-il pas souhaité ? Quel enchantement ce désenchanté n’a-t-il pas rêvé ? Il appelle, en même temps, la gloire et l’amour. Il veut emplir le monde de son nom et de sa pensée, et, tout à coup, rencontrant, dans une petite ville d’Allemagne, un vieux moine occupé depuis trente ans à ranger des curiosités naturelles sur les planches d’une armoire, il envie la sérénité, le calme et la douceur de ce bonhomme. Il veut toutes les joies, celles des grands et celles des humbles, celles des fous et celles des sages. Le Faust de Goethe lui paraît médiocre. C’est que Faust n’avait que des désirs naïfs à côté des siens et semblait raisonnable auprès de lui. Il ne croit à rien et il s’efforce de goûter les délices dont l’amour divin remplit les âmes pieuses.