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la vie littéraire.

M. Bourdeau sent lui-même qu’il est cruel. Il nous ôte nos belles histoires ; mais il nous les ôte à regret. « Puisqu’il nous faut choisir entre la beauté et la vérité, dit-il, préférons sans hésiter la seconde. » Pour ma part, s’il me fallait choisir entre la beauté et la vérité, je n’hésiterais pas non plus : c’est la beauté que je garderais, certain qu’elle porte en elle une vérité plus haute et plus profonde que la vérité même. J’oserai dire qu’il n’y a de vrai au monde que le beau. Le beau nous apporte la plus haute révélation du divin qu’il nous soit permis de connaître. Mais pourquoi choisir ? Pourquoi substituer l’histoire statistique à l’histoire narrative ? C’est remplacer une rose par une pomme de terre ! Ne pouvons-nous donc avoir ensemble et les fleurs de la poésie et ces « racines nourrissantes qui rendent les âmes savantes », comme disait le bon M. Lancelot. Je sais aussi bien que vous que l’histoire est fausse et que tous les historiens, depuis Hérodote jusqu’à Michelet, sont des conteurs de fables. Mais cela ne me fâche pas. Je veux bien qu’un Hérodote me trompe avec goût ; je me laisserai éblouir par le sombre éclat de la pensée aristocratique d’un Tacite ; je referai avec délices les rêves de ce grand aveugle qui vit Harold et Frédégonde. Je regretterais même que l’histoire fût plus exacte. Je dirai volontiers avec Voltaire : Réduisez-la à la vérité, vous la perdez, c’est Alcine dépouillée de ses prestiges.

Elle n’est qu’une suite d’images. C’est pour cela que je l’aime ; c’est pour cela qu’elle convient aux hommes. L’humanité est encore dans l’enfance. On a déterminé