Page:La Vie littéraire, II.djvu/45

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femme, l’enfant de sa mère. Il semblait tout Normand, non point Normand de terre, vassal de la couronne de France, fils paisible et dégénéré des compagnons de Rolf, bourgeois ou vilain, procureur ou laboureur, de génie avide et cauteleux, ne disant ni oui ni vere ; mais bien Normand des mers, roi du combat, vieux Danois venu par la route des cygnes, n’ayant jamais dormi sous un toit de planches ni vidé près d’un foyer humain la corne pleine de bière, aimant le sang des prêtres et l’or enlevé aux églises, attachant son cheval dans les chapelles des palais, nageur et poète, ivre, furieux, magnanime, plein des dieux nébuleux du Nord et gardant jusque dans le pillage son inaltérable générosité.

Et son air ne mentait point. Il était cela, en rêve.

Il me tendit sa belle main de chef et d’artiste, me dit quelques bonnes paroles, et, dès lors, j’eus la douceur d’aimer l’homme que j’admirais. Gustave Flaubert était très bon. Il avait une prodigieuse capacité d’enthousiasme et de sympathie. C’est pourquoi il était toujours furieux. Il s’en allait en guerre à tout propos, ayant sans cesse une injure à venger. Il en était de lui comme de don Quichotte, qu’il estimait tant. Si don Quichotte avait moins aimé la justice et senti moins d’amour pour la beauté, moins de pitié pour la faiblesse, il n’eût point cassé la tête au muletier biscayen ni transpercé d’innocentes brebis. C’étaient tous deux de braves cœurs. Et tous deux ils firent le rêve de la vie avec une héroïque fierté qu’il est plus facile de railler que