Page:La Vie littéraire, II.djvu/51

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Je note l’épître du 14 décembre comme un beau modèle de mauvaise grâce.

On m’a fait hier, y dit Flaubert, une petite opération à la joue à cause de mon abcès ; j’ai la figure embobelinée de linge et passablement grotesque ; comme si ce n’était pas assez de toutes les pourritures et de toutes les infections qui ont précédé notre naissance et qui nous reprendront à notre mort, nous ne sommes, pendant notre vie, que corruption et putréfaction successives, alternatives et envahissantes l’une sur l’autre. Aujourd’hui on perd une dent, demain un cheveu ; une plaie s’ouvre, un abcès se forme, on vous met des vésicatoires, on vous pose des sétons. Qu’on ajoute à cela les cors aux pieds, les mauvaises odeurs naturelles, les sécrétions de toute espèce et de toute saveur, ça ne laisse pas que de faire un tableau fort excitant de la personne humaine. Dire qu’on aime tout ça ! Encore qu’on s’aime soi-même et que moi, par exemple, j’ai l’aplomb de me regarder dans la glace sans éclater de rire. Est-ce que la vue seule d’une vieille paire de bottes n’a pas quelque chose de profondément triste et d’une mélancolie amère ? Quand on pense à tous les pas qu’on a fait là dedans pour aller on ne sait plus où, à toutes les herbes qu’on a foulées, à toutes les boues qu’on a recueillies, le cuir crevé qui bâille a l’air de vous dire : « Après, imbécile, achètes-en d’autres, de vernies, de luisantes, de craquantes, elles en viendront là comme moi, comme toi un jour, quand tu auras sali beaucoup de tiges et sué dans beaucoup d’empeignes. »

On ne pouvait du moins l’accuser de dire des fadeurs. Il avoue plus loin qu’il a « la peau du cœur dure », et en effet il sent mal certaines délicatesses. Par contre, il