Page:La Villemarqué - Dictionnaire français-breton de Le Gonidec, volume 1.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
xxxviij
ESSAI SUR L’HISTOIRE

nés aux jeunes Bretons jaloux de s’instruire dans l’étude des lettres humaines ou d’étudier la théologie sous des maîtres savants, fut le troisième coup porté à l’idiome national ; le clergé surtout le ressentit vivement : un de ses membres, après un long séjour en France, voulant apprendre le français à ses compatriotes, composa le premier grand dictionnaire breton-français qui ait été fait, et, dans sa préface, il donna pour raison « qu’il faut que les clercs sachent le français » [1]. Cette tentative si caractéristique fut suivie de trois autres du même genre, l’année même de l’union de la Bretagne à la France [2]. A. dater de cette époque, le français, qui était déjà l’idiome officiel de l’administration en Basse-Bretagne, devint peu à peu le langage de société des habitants du pays qui prétendirent an bon ton et aux belles manières ; tandis que le breton, qui était la première langue bégayée par les enfants, resta celle du foyer, des relations des seigneurs avec leurs vassaux et domestiques, du bas clergé et du peuple des villes et des campagnes en masse. On se servit de Tune et de l’autre, si j’ose dire, comme de deux habits, dont l’un se porte en visite, l’autre à la maison. Un résultat semblable était de nature à satisfaire toute politique éclairée ; mais il ne parut pas suffisant à ceux des Bretons qui rougissaient, avec Abaylard, de l’idiome de leurs ancêtres. O auriam humanarum superbissimum judicium[3] ! « O superbes arrêts des oreilles humaines !»

Les habitants de la Basse-Bretagne n’étant pas, disait-on, confirmés bons Français [4], on voulut détruire leur langue et on l’attaqua de tous côtés. Des moines Gallos, supérieurs de l’ordre prêcheur des Récollets, donnèrent le signal en l’année 1539. Maîtres du gouvernement spirituel de la province où ils occupaient les charges principales de leur ordre, à l’exclusion des Bretons bretonnants, ils mirent tout en œuvre pour forcer leurs frères récalcitrants de la Basse-Bretagne à employer le français dans la prédication, à l’exclusion du breton, « les tenant, dit un des opprimés, dans une captivité pareille à celle des Israélites sous la tyrannie des Egyptiens [5]. » La lutte fut si longue qu’elle dura cent vingt-cinq ans, si vive que l’autorité du Souverain Pontife dut intervenir, pour ramener la paix et fixer les limites naturelles des deux idiomes rivaux [6]. Une guerre pareille, non plus, il est vrai, entre le breton et le français, mais entre le breton francisé des villes et le breton rustique, éclatait en même temps. Les riches bourgeois qui parlaient le premier et qui joignaient ensemble au hasard les expressions françaises qui leur venaient à la bouche, cherchant à mettre dans leurs discours le peu de français qu’ils savaient, afin d’imiter les grands et de passer pour des gens comme il faut, traitaient de grossier et de barbare l’idiome pur des campagnes, l’accusaient d’être inintelligible et suranné, fuyaient les prédicateurs qui l’employaient, et quel

  1. Quoniàm clerici indigent gallicâ. (Lagadeuc. Dictionnaire. Préface.)
  2. Voy. p. xxxiv.
  3. Ciceron.
  4. Lettres de la rime de Navarre. Lettre xcix. p. 163, datée de la Basse-Bretagne et d’octobre 1537.
  5. Factum du procès des religieux de la province des Récollets de Bretagne, p. 4.
  6. Audita controicrsici, 10 avril 1671. Copie de la sentence.