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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

flamboient les illuminations électriques des hôtels où geignent, toussent et crachent un monde de phtisiques. À mes pieds s’étale le village, serré autour de sa vieille église dont le clocher désastreusement réparé a des reflets d’argent trop neuf. Mais là-bas, la vallée du Rhône s’étend, enveloppée d’une ombre violette, à peine visible encore. Quelques points brillants scintillent au fond de ce noir, et semblent de la vie immobilisée dans l’étreinte sombre d’un gouffre. Par contraste, les cimes des montagnes gardent encore la caresse rose du soleil à son couchant, et l’extrême pointe des sept aiguilles de la Dent du Midi a l’air de sortir d’un bain de sang. Des plaques de pourpre et de moire violette strient le ciel pur où la nuit a cloué déjà quelques étoiles d’or. Un apaisement gigantesque semble être descendu sur cet immense horizon où pas un bruit n’éclate. Quelquefois un cri de cigale, un tintement de clochettes, au loin, un meuglement de vache, une ioulée de bergers vient rompre ce solennel repos, puis tout s’efface, tout s’éteint et il ne reste plus que la nuit qui descend, les monts qui s’effondrent dans du noir, le ciel qui s’illumine, et la brise douce