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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

tu le sais, les enfants pauvres ne venaient plus apprendre des cantiques ; le jardin n’avait plus de fleurs, les abeilles n’avaient plus de miel : tout était mort, avec ma mère !

L’as-tu connu, mon père, le pasteur ? Il était sans cesse sur les routes et dans les chemins ; il y avait tant de pauvres à secourir, tant de malades à soulager, tant d’infortunes à rendre plus légères. Et sa taille élevée se courbait à chaque hiver davantage. Une neige avait glacé ses cheveux jadis noirs. Sa voix toujours douce et tendre s’était affaiblie et il toussait pour s’être trop mouillé, sur les chemins, par les routes.

Il s’en est allé, lui, comme les cerisiers revêtaient leur toilette de fiançailles. Un jour que le printemps chantait plus fort sa chanson radieuse, devant la porte, un jour que le soleil était plus brillant, un jour enfin que les hommes semblaient meilleurs, son âme s’en est allée, sur l’aile de la brise de mai. Et des hommes noirs l’ont emporté : une fosse s’est ouverte sous le grand if du cimetière, une croix blanche s’est dressée, froide et dure au milieu des fleurs, et côte à côte, mon père et