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ne veulent pas fermer les yeux à l’évidence. De même que l’on fait du mal à la religion en affaiblissant l’élément canadien, de même on favorise ses intérêts en donnant de la force et de la cohésion à cet élément. L’Évêque lui donne-t-il de la cohésion en s’en éloignant ? Certainement non. Il lui inflige donc un tort, et du même coup il en inflige un à la religion qui, temporellement, en ressentira un contre coup. « C’est un grand avantage pour vous, dit Sa grandeur aux fidèles, qu’il se construise une Cathédrale. » Et cet avantage pour eux, elle le nullifie pratiquement en leur rendant la Cathédrale inabordable ! C’est absolument à n’y rien comprendre !

Dans la même mesure que l’on affaiblit l’influence et le progrès de la population canadienne, on affaiblit l’influence de la religion en Canada. Voilà le seul résultat possible de l’incompréhensible erreur que commet Sa Grandeur.

En restant dans la partie Est, elle favoriserait l’expansion de la population canadienne ; donc elle favoriserait en même temps celle de son culte. En bâtissant là-bas, Elle désagrège l’élément canadien, donc elle diminue son influence, et du même coup, inflige un tort à son culte. Cela est de toute évidence.

C’est donc aux fidèles qu’il appartient maintenant de voir s’ils doivent encourager de leurs sympathies et soutenir de leurs contributions un projet qui, nationalement parlant, leur est clairement hostile, et qui, au point de vue religieux, éloigne d’eux au lieu de l’en rapprocher cette église-mère qui doit servir aux autres d’exemple, de modèle et de guide.


XIV.


Et puis, pourquoi cette inexplicable hâte, cet empressement extraordinaire à commencer les travaux ? Pourquoi ne pas attendre le résultat des quêtes annoncées ? Que signifie cet éternel parti pris de tout décider à part soi et de ne laisser aux intéressés que le soin de s’exécuter et de payer ? Il ne s’agit pas ici d’une définition de croyance ou de devoir, il s’agit tout simplement d’une question d’argent. La plus simple prudence ne disait-elle pas qu’avant de commencer les travaux, il serait bon de s’assurer si l’on aurait la coopération cordiale de la population ? Peut-on ignorer que le site choisi ne convient pas à la très grande majorité ? Certainement non. Eh bien, cela ne devait-il pas faire craindre que le concours cordial de cette majorité ne fût pas assuré à priori à l’entreprise ? Or, sans le concours de la grande majorité, l’entreprise n’a clairement aucune chance de succès. Si Sa Grandeur croit qu’il lui suffit de vouloir pour emporter une pareille question d’assaut, Elle nous paraît commettre une de ces erreurs dans lesquelles les hommes de véritable expérience ne tombent jamais.

Ne nous dit-Elle pas, dès le premier paragraphe de sa circulaire, qu’Elle doit procéder selon toutes les règles de la prudence chrétienne, pour ne pas attirer sur Elle et sur la religion qu’Elle représente dans ce Diocèse, « la honte attachée à tout homme qui commence à bâtir et qui ne peut achever. (Luc 14-28.) »

Or est-ce bien procéder selon les règles de la prudence chrétienne que de commencer des travaux si importants quand on sait à n’en pouvoir douter que l’opinion blâme universellement l’entreprise, non en elle-même, mais à cause du site choisi ? Les trois quarts du clergé du diocèse, les sept-huitièmes de la population canadienne de la ville (car nombre de fidèles de la partie ouest comprennent la faute que l’on commet) blâment le choix de la localité ! Ceux même qui ont souscrit paient avec répugnance ! Comment peut-on espérer mener une pareille entreprise à bonne fin en dépit de l’opinion publique ? C’est toujours dans de pareilles conditions que l’on échoue, c’est-à-dire que l’on attire sur soi « la honte attachée à tout homme qui commence à bâtir et qui ne peut achever. »

Quelques hommes prudents, qui voient que l’Évêque se met en conflit avec l’opinion universelle, n’ont pas voulu commencer les travaux avant son arrivée, espérant peut être qu’un dernier effort ferait fléchir cette persistance obstinée à ne tenir jamais compte de l’opinion d’autrui. Mais dès l’arrivée de Sa Grandeur, ordre a été donné de commencer immédiatement les travaux ; puis Sa Grandeur s’est tranquillement mise à écrire sa lettre circulaire où il est bien question des retards du troupeau à porter son argent, mais où il n’est naturellement pas dit un mot des nombreuses fautes