Page:La chanson française du XVe au XXe siècle.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LE RHIN ALLEMAND

(1840)


 
       Nous l’avons eu, votre Rhin allemand.
          Il a tenu dans notre verre.
          Un couplet qu’on s’en va chantant
          Efface-t-il la trace altière
Du pied de nos chevaux marqué dans votre sang ?

       Nous l’avons eu, votre Rhin allemand.
          Son sein porte une plaie ouverte,
          Du jour où Condé triomphant
          A déchiré sa robe verte.
Où le père a passé, passera bien l’enfant.

       Nous l’avons eu, votre Rhin allemand.
          Que faisaient vos vertus germaines,
          Quand notre César tout-puissant
          De son ombre couvrait vos plaines ?
Où donc est-il tombé, ce dernier ossement ?

       Nous l’avons eu, votre Rhin allemand.
          Si vous oubliez votre histoire,
          Vos jeunes filles, sûrement,
          Ont mieux gardé notre mémoire ;
Elles nous ont versé votre petit vin blanc.

       S’il est à vous, votre Rhin allemand,
          Lavez-y donc votre livrée ;
          Mais parlez-en moins fièrement.
          Combien, au jour de la curée,
Étiez-vous de corbeaux contre l’aigle expirant ?

       Qu’il coule en paix, votre Rhin allemand ;
          Que vos cathédrales gothiques
          S’y reflètent modestement ;
          Mais craignez que vos airs bachiques
Ne réveillent les morts de leur repos sanglant.

Alfred de Musset.