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au sérieux comme Lovelace, Ficelet avait bien des pieds à pantoufles, une tête à attendre les pratiques au fond d’une boutique, comme une araignée maigre dans un coin de sa toile… De ces personnalités s’ensuivit entre le célibataire nomade et les époux sédentaires une contestation assez vive sur les mérites comparés du commerce assis et du commerce debout. On se remit un peu d’accord en daubant des connaissances communes. Moyennant une douzaine de ces exécutions sommaires, on fraternisa de plus belle.

— Et où allait ce brave Poupard ? À Enghien ?

— Non, à Saint-Gratien.

— C’était tout comme.

— Il était invité à passer vingt-quatre heures avenue de Catinat chez un petit cousin à lui, un ci-devant sous-préfet, dégommé du mois dernier. Ah ! il en avait fait des sous-préfectures, celui-là, en deux ans ! Quel voyageur ! Bien lui en avait pris, dans ses allées et venues, d’épouser, je ne sais où, une mignonne de deux cent mille francs, une fille de quincaillier.

— Bonne partie, la quincaillerie.

— Pas un sous vaillant, le petit cousin, mais un habit brodé… Il était loin à présent, l’habit brodé. Décidément il n’y avait que le commerce.

— Oh ! cà !..

— Tous ces préfets, sous-préfets, ministres, et autres singes en uniformes, ça faisait une poussière, un tintamarre du diable ; ça regardait de bien haut les commerçants. Oui, et puis, après quelques mois de service en grande livrée, vlan, à la porte. Et tous les quincailliers n’étaient pas aussi bêtes que le beau-père de son cousin. Le ralentissement du train rappela soudain Poupard à ses devoirs de courtier en vins.

— Monsieur est dans le commerce ? me demanda-t-il gracieusement.

— Hélas ! non, monsieur, répondis-je… simple homme de lettres. Il eut un regard de commisération. Puis vivement :

— Monsieur, la maison Piétraloi et Ce

Par bonheur, le train s’arrêta brusquement avec une secousse des plus désagréables et un odieux crachement de vapeur. Prestement j’ouvris la portière, sautai sur le quai, courus m’embarquer dans le petit train de Montmorency.

Rentré chez moi, comme je délestais mon paletot, je trouvai dans l’une des poches un carré de carton imprimé. C’était un prospectus de la maison Piétraloi et Ce : Vins, garantis naturels, de tous crus français et étrangers.

Ineffable Poupard !

Maurice JOUANNIN.