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Parfois cependant, quand il voyait la fillette aller et venir, rieuse, dans la maison, il se prenait à espérer tout à coup, et s’adressant à Marguerite :

— Regarde donc petite Jeanne, disait-il. Comme elle semble contente de vivre ! Avec l’âge, la santé viendra.

— Oh ! oui, répétait Marguerite, avec l’âge, la santé viendra.

Mais les mois fuyaient et la santé ne venait pas à petite Jeanne. Un jour même, au lieu de jouer, elle resta paisible et pensive, et le lendemain, elle dit en embrassant Marguerite, qui voulait l’habiller à l’heure accoutumée :

— Bonne mère, je ne me lèverai pas ce matin. Elle ne se leva ni ce matin-là, ni ceux qui suivirent. On était en décembre. La nuit de Noël arriva — une de ces nuits terribles où le souffle du nord fait vaciller la veilleuse et frissonner la cloison. — Petite Jeanne était plus malade que les jours précédents. Un sommeil prolongé, une sorte d’assoupissement profond engourdissait tout son être. Elle ne s’éveillait que par longs intervalles, et, levant ses grands yeux limpides vers son père, comme si elle sortait d’un rêve, elle demandait en écoutant les lamentations sans fin de la tempête :

— Quelle est donc cette musique qu’on entend là-haut ?

— Ce sont les anges qui chantent, répondait Jacques avec un frisson d’angoisse.

— Et pourquoi les anges chantent-ils ?

— Parce que petit Jésus va descendre pour te voir.

Et sur cette réponse, petite Jeanne se mettait à sourire et s’endormait de nouveau.

Une fois, elle écouta plus longuement que d’ordinaire les rugissements de la bise et murmura :

— Les anges chantent plus fort. Est-ce que petit Jésus approche ?

Jacques écarta les rideaux de la croisée, fit semblant de regarder le ciel et répondit :

— J’aperçois petit Jésus ; il vient d’ouvrir les portes du paradis et de se mettre en route ; patience, il arrivera bientôt.

La malade referma les yeux, puis après un long silence :

— Bon père, est-ce que petit Jésus n’apporte rien pour me donner et me faire souvenir de lui ?

Jacques tressaillit. Absorbé par les soins dont il entourait sa pauvre fille, il n’avait pas songé aux cadeaux que l’Enfant-Dieu doit laisser, la nuit de Noël, au coin de la cheminée, et dans toute la maison, il n’y avait ni poupée, ni joujou pour donner à petite Jeanne.

— Bon père, est-ce que petit Jésus ne m’apportera rien ce soir ? répéta petite Jeanne, tandis qu’un nuage de tristesse passait sur son front brûlant.