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C’était l’auguste paix de la nature immense,
Le calme lumineux des choses sans remord,
L’aube sainte du jour éternel qui commence
Dans la douceur de vivre et l’oubli de la mort.

Tout à coup j’aperçus le cou d’une vipère,
Qui sortait lentement des touffes de gazon,
Dressant sa tête plate au bord de son repaire,
Comme un bandit qui guette au seuil de sa maison ;

Elle allongeait son dard pour la chasse prochaine,
Et son œil magnétique attendait sans chercher.
Un oiseau, qui jouait sur la branche d’un chêne,
S’arrêta… c’est la mort qu’il sentait approcher !

II

Et je me dis : Repos que tout homme réclame,
Voilà donc ton image, hélas ! Calme d’un jour !
Quand tout semble dormir dans la forêt de l’âme,
Les serpents de leur ombre y sortent tour à tour ;

L’ambition, l’orgueil, la gloire qu’on espère,
La noire inquiétude et les doutes moqueurs
Sont en nous, et toute âme enfante sa vipère,
Et le poison qui tue est l’œuvre de nos cœurs !

Henri de Bornier.