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LA PÉNITENTE

Lorsque Jeanne eut monté les cinq étages de l’hôtel, elle frappa coups sur coups à la porte du bien-aimé, et comme personne ne remuait, elle ouvrit elle-même et pénétra dans la chambre.

Les rideaux de reps rouge étaient fermés, une bougie brûlait sur la table, et tout près, bien en évidence, était une lettre.

Anxieuse, sans prendre le temps d’ôter son chapeau et de dégrafer le grand manteau gris perle qui lui serrait délicieusement la taille, elle saisit l’enveloppe, la décacheta et lut :

« Adieu, Jeanne, tu m’as trompé et je t’aime trop pour rester encore avec toi qui ne m’aimes plus. Depuis un mois je suis médecin, je pars embrasser mes vieux parents, puis… à la grâce du hasard. »

Louis G. »

Jeanne eut à peine lu le billet où l’amant avait mis tout son amour et tout son désespoir, qu’elle se laissa tomber inanimée…

C’est qu’elle l’aimait aussi, elle… comme au premier jour de leur union… plus peut-être… et pourtant elle l’avait trompé…

Mais elle s’était donnée à l’autre, froide et inerte, — par nécessité.

Ce soir-là, comme d’habitude, les adorateurs de Rosa Em, rangés derrière l’orchestre, dévoraient du regard l’éblouissante actrice, dont le maillot rose, pailleté d’or, dessinait la plastique beauté.

Rosa Em — autrefois Jeanne — semblait malade tant son regard était triste, tant son visage était convulsé ; et quand vint l’apothéose, au moment où avec lenteur elle s’élevait dans les airs, entourée comme d’un nimbe, du bleuissement pâle des lumières électriques, ses lèvres n’eurent pas le sourire extatique qui semblait s’y être incarné.

Elle était ainsi, morose et triste, depuis le matin après avoir lu dans un journal ces seules lignes : « On nous écrit du Sénégal que le jeune docteur Louis G*** vient de succomber à la fièvre jaune. »

Le lendemain Rosa Em quittait son entresol du boulevard Haussmann sans dire où elle allait.

Dans une des sombres ruelles qui aboutissent à la cathédrale de Bourges, se trouve le couvent des Carmélites.