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LE FLAMANT ROSE

« Demain, à quatre heures, au point du jour — tout le monde sur le pont ! »

« Oui, mon oncle ! »

« Et pas de retard, — tu sais — ou nous faisons voile sans toi ! »

« Non, mon oncle ! »

« Allons, sur ce, carguons notre bonnet de nuit, face au mur et dormons ! »

Et sur ce, carguant, comme il le disait, son immense bonnet de nuit, s’enfonçant jusqu’aux oreilles sous la couverture, il tourna la tête à gauche et bientôt un ronflement sonore — de quoi ébranler les lourds vitraux de Saint-Trophime — m’avertit que mon oncle maternel Jean-Baptiste-Francet Barbantous, patron dans la marine d’Arles, un vaillant chasseur devant l’Éternel, dormait du plus profond sommeil.

On prétendait bien qu’il ne remplissait le plus souvent son carnier que grâce à quelques pièces blanches données à un vieux braconnier du Valcarès, le père Truphême, mais Jean-Baptiste-Francet Barbantous vous racontait ses chasses avec tant de foi, avec tant de détails, qu’il fallait être vraiment des mauvaises langues, comme les bergers du mas des Lambrûches, pour raconter pareille calomnie.

Moi je ne pouvais dormir.

Et cela pour deux raisons — la chasse et Miette.

C’était la première fois que j’accompagnais mon oncle. Après m’avoir longtemps promis, me jugeant sans doute assez mûr pour cette grave fonction, il venait enfin de m’annoncer, la veille au soir, que nous irions ensemble à l’affut d’un jeune flamant rose ; une superbe bête qui devait, d’après ce qu’on lui avait dit, avoir fait son nid, dans les marais, qu’on apercevait de la fenêtre du grenier, là bas, à main droite, en regardant du côté d’Arles.

Et Miette !