Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vernales succédèrent des neiges de fleurs. Déjà à la rive des bois, où sifflaient merles et grives dorés, on entendait les verts lézards, dérangés dans leurs premières hélioses, s’enfuir brusquement en agitant les feuilles d’antan.

On les voyait disparaître dans les violettes mauve-pâle et dans les primevères jaune soufre.

Bientôt les champs furent verts, verts furent les bois ; et les fleurs émaillantes : pâquerettes, véroniques, jaunets, diaprèrent les prairies : les robustes abeilles sortirent de leurs tièbles pour aller à la picorée. Elles allèrent de fleur en fleur se vautrant dans les nectaires embaumés ; — des bourdons noirs et orange en firent de même et les papillons jaunes et bleus voltigèrent par les prés, demandant à chaque fleurette le droit du seigneur.

Alors la mère Jeanne, en entendant passereaux et passerelles ramager sur les toits, en voyant ses cerisiers tout blancs et ses mûriers prêts à crever leurs bourgeons, mit en préparation les jolies petites graines violâtres de ses papillotes de l’an dernier, ce qui fit grand plaisir à Métalli ; car, si la mère Jeanne voyait en perspective des cocons plein la bruyère, lui voyait le prochain retour de Perlette, sa chère petite Perlette après qui il soupirait depuis plus de cinq mois !

Cependant, essorant de ses tièdes haleines les blés en épis verts encore et la vigne aux pampres violacés, floréal s’épanouit dans la pourpre des premiers coquelicots, dans l’azur des bleuets. Les fèves en fleurs suavement embaumaient ; les tréfliéres devinrent couleur de rose ; le ciel prit des bleus de pervenche et les pervenches des bleus de ciel ; les oiseaux bûchèrent aux nids ; du matin au coucher du soleil, on entendait chanter dans la nature des hymnes à l’amour ; — puis à l’aube du soir, des nocturnes. Dans les herbes tièdes les grelets commencèrent leurs strideurs lentes et perlées accompagnant les solos des coryphées du printemps.

Alors, à chaque parfum, à chaque chanson, à chaque fleur cueillie, Métalli se sentit sourdre au cœur des effluves de tendresse et d’amour… Plus que quelques jours et Perlette reviendrait, car les magnons allaient faire leur troisième mue et envahissaient sans cesse de nouvelles tables.

Enfin, à la ferme on parla de louer un Bedot.

Un Bedot ! Métalli eut un malaise soudain : il sentit son cœur se serrer… Pourtant il ne réclama pas, de crainte de trahir son amour pour Perlette.

La mère Jeanne avait voulu l’éprouver ; mais, le voyant calme, indifférent, elle témoigna au père Louis, le désir d’avoir une Bedosse : — Celle de l’an dernier était vaillante, dit-elle.

— Eh bien prends-la, dit le père Louis.

Métalli, à ces paroles, ne se sentit plus d’aise.