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sols, descendant à califourchon sur la rampe, ce qui indiquait une violente perturbation dans ses facultés, stupéfiant les chats et les rats noctambules et remplissant la cage d’allées et de venues incohérentes qui eussent étonné même le fameux escalier de Pot-Bouille.

Enfin, comme il passait pour la dixième fois peut-être sur le palier de l’entresol, il entendit derrière la cloison un grand vacarme de ferrailles.

— C’est là ! s’écria-t-il.

D’un coup d’épaule il brisa la porte et, sanglant, haletant, déchiré, impétueux, il sauta par la brèche dans la place.

Or, au moment précis où il entrait dans cette chambre d’une façon si intempestive, une rapide silhouette disparaissait par la porte du fond, entraînant derrière elle un pan d’étoffe blanche semblable au guidon agité d’un escadron de chevau-légers.

Mais rien n’était plus capable de détourner son attention : il voyait, à ses pieds, l’armure gisante mais complète du marchese Orlando. Frénétiquement, il en rassembla les parties éparses, et, serrant sur sa poitrine la défroque guerrière de son héros, il s’enfuit, dégringolant l’escalier dans un effroyable tintamarre qui fit mourir d’angoisses un vieux capitaliste, aboyer les chiens, sacrer les dormeurs, et croire aux suaves jeunes filles, cachées en leurs lits virginaux, qu’un tragique amoureux mettait tout à feu, à sac et à sang pour arriver jusqu’à elles…

Porteur de son précieux fardeau, M. de Lansalumey était rentré chez lui et s’occupait à réinstaller à sa place d’honneur la rigide dépouille du traître Orlando, lorsqu’un petit papier plié en quatre tomba de la jointure du cuissard gauche. Il le ramasse, l’examine. L’épaisse rouille du métal a communiqué au papier une couleur brunâtre et d’un aspect antique. Il l’ouvre, — fébrile, il lit :

« Passe aux Français aujourd’hui. Je t’aime.

Magdeleine. »

Un éclair de joie, qui faillit mettre le feu à ses vieux os desséchés, illumina sa face. Secoué d’une folie, il dansait, bondissait, ricanait, et