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LE FANTASTIQUE AU XIXe SIÈCLE

PREMIER ARTICLE
ZÉNON-FIÈRE : Werchessesburg (légende macabre).

En dépit de l’école naturaliste, le fantastique n’est pas mort. Il est impérissable, comme cet éternel besoin d’au delà dont l’âme immortelle est possédée. Toutes les époques littéraires ont nourri de ces chanteurs d’élite qui, écœurés des plates monotonies de la vie réelle, ont un beau jour enfourché la croupe de la chimère et chevauché avec elle dans la région de l’impossible. Le dix-neuvième siècle, malgré tout son positivisme, n’a pu faire exception.

Un poète de valeur s’est rencontré, qui a voulu récemment essayer d’une transaction entre le fantastique et le naturalisme contemporain. Il a assaisonné le macabre à la sauce réaliste, — mixture piquante s’il en fut. Et nous avons vu se produire ce singulier anachronisme qui, en 1850, frappait déjà Théophile Gautier.

Quoi ! des spectres, près du Gymnase,
À deux pas des Variétés,
Sans brume ou linceul qui les gaze,
Des spectres mouillés et crottés…

Vrai Paul de Kock du fantastique, Maurice Rollinat met sous nos yeux tout un univers de spectres bourgeois, de squelettes buveurs d’absinthe, de vampires porteurs de chapeaux à haute forme. Son succube n’est autre que la dame en cire du coiffeur à la mode.

Non ! de par tous les spectres du Walpurgis ! on ne bourgeoisifie pas le fantastique.

Nous avons dit où n’était pas le fantastique, disons maintenant où il est. Plusieurs poètes contemporains ont essayé de faire vibrer la vraie corde macabre. M. Bouchor occupe en cet ordre un rang distingué : témoin la Bataille des os. Mais nul peut-être n’a mieux donné la note du genre que M. Zénon-Fière.

Ce nom, qui depuis quelques mois fait vaillamment sa trouée, figure en tête d’une plaquette, récemment éditée par la maison Charles Bayle et Ce, rue de l’Abbaye.

« Werchessesburg » (pardon, mesdames), tel est le titre de cette puissante composition. Là, du moins, le fantastique est dans son cadre. Il tournoie en plein moyen âge, en pleine efflorescence ogivale, mais aussi en pleine barbarie, ce qui, du reste, ne gâte rien.

Afin de rendre, le plus possible, la forme adéquate à l’idée, M, Zénon-Fière s’est servi du plus bizarre de tous les rythmes, du tercet