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Écrase son époux du poids de ses dédains,
Soit que la guillotine, entre ses deux bras rouges,
Étouffe au lent roulis de la plèbe des bouges
Le dernier chant des Girondins ?

Qui de nous n’a cru voir le noir démon du rêve
L’emporter haletant sur quelque morne grève,
Au fond d’un fantastique et ténébreux château,
Où tout un fleuve d’or inondait la pénombre,
Au fracas insolent des millions sans nombre
Que remuait Monte-Cristo ?

Ô maître ! tes héros sont plus grand que nature,
Tant mieux ! Nous les aimons ainsi. Que la stature
De ton Porthos fût moindre, il nous séduirait moins ;
Il nous plaît de les voir, ces géants des batailles,
Si haut que l’idéal seul mesure leurs tailles,
Et que les cieux sont leurs témoins !

Il nous plaît de les voir, ces Titans qu’en plein marbre
Ton génie a taillés, qui vont, tordant un arbre,
Ainsi qu’un enfant tord un brin d’herbe en sa main,
Ces demi-dieux qui vont, le front couvert de palmes,
Et qui passent très doux, très vaillants et très calmes,
Faisant leur œuvre surhumain.

C’est que les bardes saints, chanteurs des grandes guerres,
Ne se contentent pas des comparses vulgaires,
À d’autres les Nérons pleins de fange et de fiel ;
Aux Æschyles il faut les hardis Prométhées ;
De rêves trop divins leurs arnes sont hantées,
Pour descendre jusqu’au réel !

Æschyle ! Comme lui tu léguas à l’Histoire
Ta trilogie auguste, où marchent dans la gloire