Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tresse : s’il la gardait, c’était par pitié, ne voulant pas la jeter dehors, comme un chien qui gêne — à table : voilà tout. Elle le sentait bien.

Pauvre petite ! elle souffrait réellement. La mémoire, évocatrice des heures écoulées, lui faisait revivre les cinq mois vécus avec Albert, — frissonner les fièvres du premier caprice, qui, sitôt, se devait métamorphoser en flambante passion. Ah ! les douceurs — si neuves pour elle, il y a cinq mois — de la vie à deux, paisible, heureuse, honnête ! Une nouvelle existence avait commencé, ce jour-là ! Dans les larmes d’un amour sincère, elle avait cru se baptiser au Bien ! Elle s’était fait — toute triste gamine de Paris qu’elle fût née et restée — un certain Idéal moral où elle se jugeait près d’atteindre. Hélas ! toute illusion envolée, aujourd’hui, touchant la réciprocité de son amour, elle ne pouvait plus rester avec Albert… À quoi se résoudre, pourtant ? À traîner la débauche, ainsi qu’autrefois ? — Jamais ! Elle avait trop pleuré l’ignominie de sa crapuleuse enfance, de sa puberté prodiguée banalement, pour se vouloir replonger en la même fange ! À cette seule tentation repoussée aussitôt, le cœur lui tournait. Et comment vivre pourtant ?… De métier, on ne lui en avait appris aucun. — Hérédité ! Hérédité fatale !… Que la pauvre fille, issue de souche équivoque et naturellement idoine au vice lucratif, comme inhabile au travail qui préserve et qui relèverait, se fût sortie de l’ornière natale, et, pour n’y plus retomber, se cramponnât à un Idéal à peine entrevu, quel mérite !…

Ce mérite, tel implacable moraliste ne saura l’apprécier, qui ne distingue pas de nuances dans la corruption, — ni de degrés dans la réhabilitation laborieuse !

Terrible était la lutte qui s’engageait dans ce cerveau d’enfant, précocement mûri par la douleur. — Tout à coup, les yeux étincelèrent d’un feu sombre ; les traits prirent l’empreinle caractéristique de la résolution arrêtée : une rigidité de glace. Aline alla du fauteuil au bureau, s’assit, prit la plume, et, d’une main ferme, écrivit quelques minutes ; puis elle leva les yeux qu’elle tint fixes longtemps sur la muraille, et, se dressant d’un bond, arracha d’un cadre une photographie : on l’y voyait sur les genoux d’Albert, s’abandonner souriante, l’œil noyé, aux câlines agaceries du jeune homme. — D’un geste brusque, elle déchira cette carte, si profondément empreinte d’un parfum d’amour primitif, et d’où — comme d’un coquillage le murmure de l’Océan — semblait émaner l’enivrante musique des baisers d’autrefois.

Avec un grand calme, elle mit son manteau, son chapeau, prit vingt francs dans un tiroir du secrétaire, — dans l’armoire à glace une bouteille qui s’y trouvait, et, la cachant sous son bras, elle sortit.