Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tu restes devant moi la femme sainte et forte
Qui, voyant le sort me briser,
Pencha son front charmant sur ma jeunesse morte
Et la ranima d’un baiser.

Ils auraient beau jeter sur ta vie, à mains pleines,
Toute la fange des ruisseaux :
Entre ton noble amour et leurs stupides haines
Nous avons placé deux berceaux.

Tandis qu’ils nous broyaient dans un commun martyre,
Sans nous avoir jamais connus,
Nous avons regardé nos fillettes sourire,
Et nous nous sommes souvenus.

Nous avons revécu cette époque sereine,
Ces temps éternellement chers,
Où je te traitais comme une petite reine
À qui son page fait des vers.

Nous nous sommes tournés vers nos fraîches aurores,
Vers ce beau passé triomphant
Où je te dédiais le tas de métaphores
De mes pauvres odes d’enfant.

Nous avons évoqué, moi l’époux, toi l’aimée,
L’instant si propice à nos vœux,
Où ta lèvre s’ouvrit, doucement parfumée
De l’innocence des aveux.

Nous nous sommes penchés sur les pics, dans la brume,
Mordus par le même frisson ;
Devant les larges flots qui, tout neigeux d’écume,
Battaient le seuil de la maison.