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suite à ma suggestion, qui ne présentait pas un caractère d’urgence ; on ne soupçonnait pas alors que le majestueux cours d’eau parcouru pour la première fois par Stanley en 1877, c’est-à-dire l’année auparavant, pût être à la veille, en quelque sorte, de devenir l’objet de compétitions dangereuses. L’événement a prouvé néanmoins que le moment aurait été favorable pour s’en occuper, afin de prévenir les conflits que l’on a vu surgir dès lors, et qui pourraient bien n’être que le prélude de faits plus regrettables.

Quoi qu’il en soit, j’ai été heureux de voir M. de Laveleye plaider spontanément, avec la légitime autorité dont il jouit, la cause que j’avais antérieurement portée devant vous, et j’espère qu’il aura réussi à vous convaincre de sa justesse.

Je n’ai pas la prétention de refaire, après lui, l’exposé des motifs qui militent en faveur de la neutralisation du Congo, car je ne saurais m’en acquitter d’une manière plus persuasive. Je vous rappellerai seulement que, depuis peu, les nations civilisées, en quête de débouchés pour leurs produits industriels, pleines de zèle pour les découvertes géographiques et de sollicitude pour les habitants du continent noir, ont multiplié les établissements de toutes sortes, soit le long des rives du Congo, soit dans la contrée avoisinante, et que plusieurs associations commerciales viennent de se former pour y trafiquer. Mais, hélas ! les blancs qui s’y rencontrent n’y vivent pas tous en bonne harmonie, et c’est d’autant plus grave que les éléments inflammables n’y manquent pas. De plus, les territoires sont mal délimités dans cette partie de l’Afrique, et les droits de souveraineté qui les concernent ont déjà fait, récemment, l’objet de contestations de mauvais augure.

Cet état de choses ne laisse pas d’être inquiétant. « Si les explorateurs des autres nations, » dit M. de Laveleye, « imitent l’exemple de M. de Brazza et plantent leur drapeau national sur les stations qu’ils fondent, nous aurons bientôt, sur les bords du Congo, des territoires français, anglais, allemands, portugais, italiens et hollandais, avec leurs frontières, leurs forts, leurs canons, leurs soldats, leurs rivalités et peut-être, un jour, leurs hostilités. N’est-ce pas déjà trop de voir nos fleuves d’Europe hérissés, des deux côtés, d’armements formidables ? Faut-il reproduire cette déplorable situation jusqu’au milieu de l’Afrique, et donner aux nègres, que nous prétendons civiliser, le triste tableau de nos antagonismes et de nos querelles ? » Or c’est à conjurer ce péril, pour « ne laisser place, dans ces régions qui s’ouvrent à l’Europe, qu’à la noble et pacifique concurrence du commerce libre, des explorations scientifiques