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Page:La sainte Bible selon la Vulgate traduite en français, avec des notes par J.-B. Glaire. Nouvelle édition avec introductions, notes complémentaires et appendices par F. Vigouroux (1905).djvu/1584

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ISAÏE.


Osée, ont vécu avant lui, — mais par droit de mérite, comme au plus grand de tous, par l’étendue et l’importance de ses révélations, aussi bien que par l’éclat incomparable de son style. Aucun autre prophète n’a embrassé un aussi vaste horizon ni touché à tant de sujets ; aucun autre n’a vu avec autant de clarté et de précision autour de lui et dans le lointain des âges. Il est le grand prophète, comme S. Paul est le grand apôtre. Placé à égale distance, dans le temps, de Moïse et de Jésus-Christ, vivant à une des époques les plus critiques de l’histoire du peuple de Dieu, au moment où la race de Jacob était menacée d’être écrasée entre les deux puissances rivales qui se disputaient alors l’empire du monde, l’Egypte et l’Assyrie, il fut le continuateur de l’œuvre de Moïse, la force et le soutien de son roi et de ses frères, comme le boulevard de leur nationalité. C’est le témoignage que lui rend le Saint-Esprit lui-même dans l’Ecclésiastique. Il prépara en outre, plus qu’aucun autre prophète, l’avènement du Messie. Il a décrit d’une manière si exacte les principales circonstances de la vie de Notre-Seigneur, que S. Jérôme a dit de lui avec raison qu’on devrait l’appeler plutôt un évangéliste qu’un prophète.

Le style d’Isaïe est digne de ses prophéties. « Jamais peut-être aucun homme n’a parlé un plus beau langage, » a dit Seinecke. Comme tous les génies, il unit la grandeur à la simplicité : rien de plus sublime et en même temps rien de plus naturel, de plus clair et de plus limpide. Son éloquence est pleine de mouvement et de poésie, sans aucun trait forcé ou exagéré ; elle coule à pleins bords, calme et majestueuse, comme un large fleuve, mais sans sortir de ses rives. Isaïe n’a point des élans de passion comme Joël et Nahum, ses transports ne sont pas impétueux et saccadés comme ceux d’Osée ou d’Amos, et il produit néanmoins une impression plus profonde, parce qu’il sait varier son langage à l’infini et prendre toujours le ton qui convient à son sujet ; tour à tour tendre et sévère ; persuasif et irrésistible, comme un mère, dans ses exhortations ; foudroyant et terrible, comme une juge dans ses menaces.

Son style est coulant, rapide, vif, énergique, coloré. Ses transitions, comme en général chez les Orientaux, ne sont pas ménagées ; elles entraveraient sa marche ; il va droit à son but, et les énumérations sont chez lui fort rares. Ce qui le caractérise, c’est la noblesse, l’éclat, la sublimité, mais il réunit à lui seul les diverses qualités que les autres se partagent. David est un poète lyrique dans les Psaumes, Jérémie un poète élégiaque dans ses Lamentations, Ézéchiel un poète descriptif dans ses grandes visions ; Isaïe est tout à la fois un poète lyrique, élégiaque et descriptif. Il excelle dans tous les genres, et quoiqu’on ne puisse l’apprécier comme il le mérite que dans l’original, ses beautés sont telles qu’elles sont encore visibles et saisissantes jusqu’à travers nos traductions décolorées en langues occidentales. Quel tableau plus achevé que celui de la vision du ch. vi : « En l’année à laquelle est mort le roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône haut et élevé, et ce qui était sous lui remplissait le temple. Des Séraphins étaient au-dessus du trône ; l’un avait six ailes et l’autre six ailes ; avec deux ils voilaient leur face, et avec deux ils voilaient les pieds, et avec deux ils volaient. Et ils se criaient l’un à l’autre : Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu des armées, toute la terre est pleine de sa gloire. Et les linteaux des gonds furent ébranlés par la voix des anges qui criaient, et la maison fut remplie de fumée. » Le prophète inspiré de Dieu a fait, en quelques coups de pinceau, un chef-d’œuvre où rien ne manque.