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Page:Labé - Œuvres, t. 1-2, éd. Boy, 1887.djvu/88

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DÉBAT


fait excuſer, s’il fait quelque choſe autre que de raiſon. Reconnois donq, ingrat Amour, quel tu es, & de combien de biens ie te ſuis cauſe. Ie te fay grand : ie te fay eſleuer ton nom : voire & ne t’euſſent les hommes reputé Dieu ſans moy. Et apres que t’ay touſiours accompagné, tu ne me veus ſeulement abandonner, mais me veus ranger à cette ſuggeccion de fuir tous les lieus où tu ſeras. Ie croy auoir ſatiſfait a ce qu’auois promis montrer : que iuſques ici Amour n’auoit eſté ſans Folie, Il faut paſſer outre, & montrer qu’impoſſible & d’eſtre autrement. Et pour y entrer : Apolon, tu me conſeilleras, qu’Amour n’eſt autre choſe qu’un deſir de iouir, auec une conionccion, & aſſemblement de la choſe aymée. Et eſtant Amour deſir, ou, quoy que ce ſoit, ne pouuant eſtre ſans deſir : il faut confeſſer qu’incontinent que cette paſſion vient ſaiſir l’homme, elle l’altere & immue. Car le deſir inceſſamment ſe demeine dedens l’ame, la poingnant touſiours & reſueillant. Cette agitacion d’eſprit, ſi elle eſtoit naturelle, elle ne l’afligeroit de la ſorte qu’elle fait : mais eſtant contre ſon naturel, elle le malmeme, en ſorte qu’il ſe fait tout autre qu’il n’eſtoit. Et ainſi en ſoy n’eſtant à ſon aiſe, Mais troublé & agité, ne peut eſtre dit ſage & poſé. Mais encore fait il pis : car il eſt contreint ſe deſcouurir : ce qu’il ne fait que par le miniſtere & organe du corps & membres d’icelui. Eſtant une fois acheminé, il faut que le pourſuiuant en amours face deus choſes : qu’il donne à connoitre qu’il ayme : & qu’il ſe face aymer. Pour le premier, le bien parler y eſt bien