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fin de roman

Après avoir vidé sa charge, le vidangeur s’en retournait chez lui, assis droit sur son siège, la pipe au bec, guidant de la voix ses deux bêtes, un cheval bai et l’autre noir.

Parfois, lorsqu’elle allait chez le boucher chercher son éternelle demi-livre de « béloné », elle voyait une femme dont le mari travaillait dans une grande usine à un fort salaire, qui achetait un steak de choix ou un morceau de foie de veau et trois boîtes de nourriture de bébés, pour son chien.

— Elle vient chaque jour lui chercher son dîner, déclarait le boucher.

Et aux jours d’été, la femme emmenait sa bête au restaurant et la régalait d’une crème glacée et de chocolats. Le caniche était si gras, si lourd, qu’il avait de la peine à marcher et sa maîtresse devait fréquemment faire venir le vétérinaire pour le traiter.

Luce estimait que c’était un chien bien chanceux.

Par les soirs d’automne, la famille respirait l’odeur âcre de la fumée d’herbes vertes qu’on faisait brûler et le relent fétide laissé par le passage d’une mouffette.

Elle était allée deux ans à l’école des sœurs. Lors de la distribution des prix, elle avait reçu une image sainte et un bâton fort.

Un jour, elle avait été témoin d’une scène qui démontrait de façon fulgurante, l’inégalité du sort et des conditions de vie du riche et du pauvre. Un enfant de cinq mois, fils de l’hôtelier de l’endroit était mort. Alors, lorsqu’un cortège de vingt automobiles était parti du salon mortuaire pour se rendre à l’église pour le service des anges, un landau chargé de gerbes de lis, de mufliers blancs, de roses blanches et de muguets précédait le corbillard renfermant un petit cercueil blanc à moitié recouvert de cou-