— Mais mettez donc votre robe propre, fait Zélie d’un ton de reproche. Vous en avez une belle que vous avez achetée il y a trois ans et vous ne l’avez pas encore portée plus de deux fois. Qu’est-ce que vous attendez pour vous la mettre sur le dos ?
— Mettre ma belle robe ! Je la garde pour être ensevelie. Je veux m’en aller avec une toilette convenable.
Oui, se dit Zélie à elle-même, elle conserve la plus belle robe qu’elle a jamais eue pour s’en aller en terre. Et l’argent qu’elle ménage, servira à faire dire des messes pour le repos de son âme. Moi, j’aime bien profiter un peu de ce que j’ai pendant que je suis vivante.
L’un des neveux de la tante Françoise habitant une paroisse voisine est venu par affaire dans la localité et a tenu à rendre visite à sa parente. Tout en causant, il raconte que le locataire d’une de ses maisons qui lui devait soixante piastres de loyer a déménagé de nuit, emportant tous ses meubles à l’exception d’un vieux piano à queue. Il a reçu une offre de vingt-cinq piastres pour l’instrument et il déclare qu’il va l’accepter.
— Un piano pour vingt-cinq piastres ! s’exclame la tante. J’ai envie de l’acheter, moi.
Le neveu sourit.
— J’aimerais bien vous le vendre, mais il ne pourrait entrer dans la maison. Vous seriez obligée de faire agrandir votre porte.
— Puis, où mettriez-vous ici un piano à queue ? interroge Zélie. Avec les chaises et le sofa, c’est à peine si nous pouvons mettre une table au milieu du salon.