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fin de roman

bles pages qu’elle avait écrites pour se soulager, pour dire sa peine, pendant les années qu’elle avait passées loin de chez elle, à expier. Toutes ses douleurs, ses désillusions, ses découragements, ses heures d’angoisse, ses bonheurs perdus, Aline les revivait en contemplant ce coffre. Que de larmes et de souffrances il contenait ! Ah ! qu’il devait être lourd, lourd comme une montagne !

N’allait-il pas faire craquer le plancher ?

Ah ! la pauvre malle, la pauvre malle anonyme qui renfermait les secrets de cette vie de femme, les espoirs morts et les jours d’épreuve, qu’elle devait donc être lourde ! Et brusquement, Aline crut que la maison s’effondrait sous le poids, et elle s’abattit grimaçante, convulsive, la bouche tordue, écumante, les yeux révulsés, dans une de ces crises qui empoisonnaient son existence.

Deux heures plus tard, elle était dans le train qui devait l’emporter à l’autre bout du pays.

Comme elle avait fait huit ans auparavant, elle s’éloignait, mais cette fois pour toujours. Poussée par la main du destin, elle quittait tout, sa famille, ses parents, son amour, et pour ne plus revenir. Elle partait pour suivre la voix de la chimère qui l’appelait là-bas.

Elle s’en allait recommencer sa vie ; recommencer la vaine et inutile tâche.

Ses grands yeux bleus froids et secs, Aline la Silencieuse, la Mystérieuse, l’Éprise d’impossible Idéal, assise dans un coin du wagon, sentait son cœur battre à grands coups pendant qu’elle roulait dans la nuit.

Et telle une feuille d’automne brisée, déchiquetée, meurtrie par les tourmentes et les deuils de la vie, la Mal-