Page:Laberge - Fin de roman, 1951.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
266
fin de roman

— Tu ne prends pas de dessert ? demande la sœur. Je t’ai gardé un morceau de pâté aux pommes, et elle lui indique la tranche qui est là, devant son couvert.

— Non, merci.

— Donne-le moi, maman, demande la jeune Farina.

Sa mère prend le morceau de pâté qui reste et le jette dans l’assiette de sa fille. Celle-ci avec un large sourire de gourmande satisfaite se met à le dévorer.

Là-dessus, le curé se lève, prend son chapeau.

— Je sors un moment, déclare-t-il en passant la porte.

— Je te dis qu’il n’est pas bavard, remarque la sœur.

Au bout de cinq minutes, le curé revient avec un journal. Il s’installe sur le chesterfield et se met à lire. Il a ouvert les deux grandes pages qu’il tient déployées comme des ailes devant lui. C’est un refuge. Comme s’il était à l’abri.

Un moment, le curé abaisse son journal pour tourner le feuillet qu’il a fini de lire. Juste à ce moment, la sœur le regarde bien en face, et elle aperçoit la ressemblance paternelle. Oui, c’est la figure de son père, de mon père, de notre père, se dit-elle. C’est lui tout craché, non seulement au physique, mais au moral. Et elle se met à le haïr aussi véhémentement, aussi fortement qu’elle détestait son père.

De le voir ainsi, la sœur Thérèse brûle. Recevez donc les gens à manger pour qu’ils s’installent ensuite sur un siège sans parler, et qu’ils lisent les nouvelles. Elle n’y tient plus.

— Tu sais, éclate-t-elle enfin, toutes ces histoires de famille…

Mais le curé remonte plus haut devant sa figure les deux pages de journal et, sans répondre, se met à siffler. Il siffle tout en lisant sa feuille.