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fin de roman

par politesse. S’il acceptait, vous seriez chez moi comme par hasard et je pourrais vous présenter. Et qui sait ? Le plan réussit. Le samedi soir, M. Frigon se rendait chez l’avocat Demers pour y fumer une pipe et causer un peu. Il y rencontra toutefois Mme Lafond et sa fille Élise qui s’étaient rendues avant lui et avaient grande hâte de voir quelle physionomie il possédait. Pour dire la vérité, elles ne furent guère impressionnées, même un peu désappointées. M. Frigon était un petit homme aux cheveux bruns commençant à grisonner, une figure régulière, complètement rasée, des yeux gris et une mine plutôt insignifiante. Mais il gagne un gros salaire, songeait Mme Lafond.

M. Frigon parla de sa mère qui était souffrante depuis quelque temps, ce qui l’inquiétait. Elle n’était pas vieille, à peine soixante-cinq ans, mais sa santé était loin d’être bonne.

— Alors, vous ne passez pas souvent vos soirées en ville ? demanda Mme Lafond.

— Jamais, répondit M. Frigon d’un ton énergique. Lorsque je sors du bureau, je prends immédiatement le train pour Pointe-Claire. J’ai assez de gagner ma vie à la ville sans y traîner le soir. Je ne voudrais pas vivre là à aucun prix. J’ai besoin du calme et de la paix et je les trouve ici. Les gens me fatiguent et je les fuis. Lorsque j’arrive chez moi, lorsque je me sens seul, je suis heureux. Il parlait avec conviction.

— Et vous ne vous ennuyez jamais ? interrogea Mme Lafond.

— Pas cinq minutes. Pas une minute.

Élise qui assistait à l’entretien avait une figure calme, un air rassis. Pour tout dire, elle paraissait terne. Ah, non, ce n’était pas une fille en l’air, une de ces évaporées comme