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fin de roman

alors. C’était le mal qui avait emporté le père. Et elle n’était mariée que depuis trois mois !

Mme Lafond avait agi comme un rusé maquignon qui vend à un acheteur de bonne foi un cheval souffrant de quelque défaut caché. Ses quatre filles étaient tuberculeuses comme leur père avec qui elles avaient une ressemblance parfaite. La plus jeune souffrait déjà du mal qui l’avait conduit au tombeau. Mais l’important pour Mme Lafond avait été de les marier au plus tôt. Ce serait désormais à leurs maris de s’en occuper.

Pour elle, elle avait fait sa part.

Monsieur Evariste Frigon était maintenant complètement installé dans la vie. Il occupait un emploi lucratif, possédait une maison qui lui convenait et était marié. Tout ce à quoi il pouvait aspirer, il l’avait.

Cependant, comme l’avait déclaré Mme Demers, ce n’était pas un homme comme un autre. C’était un caractère flegmatique, ne riant jamais, ne se fâchant jamais, ne s’excitant jamais, toujours de la même humeur égale. On ne lui connaissait aucun vice, aucune passion. Tout ce qui d’ordinaire intéresse les humains lui était indifférent. Ainsi, il ne prenait jamais un verre d’alcool, ne lisait jamais un journal, n’écoutait jamais un programme de radio, ne faisait jamais un voyage, n’allait jamais voir un spectacle sportif, ne rendait jamais visite à personne, n’allait jamais à l’église ni au cinéma, ne faisait partie d’aucun club, d’aucun groupement, d’aucune société. En tout temps, il aimait à être seul chez lui, avec sa femme et sa mère.

Les grands élans charnels qui enfièvrent le corps humain, font bouillir le sang dans les artères, lui étaient inconnus. Il était de tempérament froid et n’avait pas à