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LE CHEMIN DU MONASTÈRE

Bien souvent, presque chaque jour, dans le courant du mois de mai, j’ai suivi ce chemin et chaque fois, avec un enchantement nouveau. Le miracle commençait à se produire à cette vieille maison en pierres des champs sise à une centaine de pieds de la voie publique. La route y conduisant, était toute jonchée, toute couverte de blancs pétales de fleurs de cerisiers.

Certain après-midi, en face de l’église, j’entends les lents et graves accords de l’orgue. Parfois, devant le monastère, je vois un groupe de jeunes gens qui se promènent sur la véranda pendant que le père qui préside à la retraite récite le chapelet. Dans le calme de l’heure, sa voix prononce avec ferveur : Je vous salue, Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. Puis le groupe des retraitants reprend l’invocation et répond : Sainte Marie, mère de Dieu.

Je m’éloigne poursuivi par cette supplication.

Au retour, j’entends un cantique chanté en chœur par les jeunes gens. Le soleil luit sur la campagne et une grande paix reposante m’environne. Qu’ont-ils à prier, ces hommes ? Que ne jouissent-ils du moment présent qui s’en va si vite et ne reviendra plus jamais ! Moi, au dehors, je vais sur l’étroite route entre les pommiers fleuris et mon âme baigne dans la joie, l’allégresse. Je goûte une félicité indicible. Autour de moi, l’herbe est verte dans les champs, les pruniers, les merisiers et les cerisiers sont vêtus de blanc comme des premières communiantes. Les bourgeons des arbres deviennent de jeunes feuilles, le ciel bleu est parsemé de légers nuages blancs qui semblent voguer sur une mer d’azur et dans les branches, les oiseaux chantent éperdument. Mes yeux éblouis ne peuvent se rassasier de la beauté de la terre. Je vis dans une extase. Et là-bas, dans ce monastère, des hommes aveugles à toute cette féérie supplient la divinité de leur obtenir des biens illusoires. Je remercie la nature de m’avoir donné une âme vibrante et sensible aux splendeurs de l’univers. Je hâte le pas pour échapper à cette misère, à cette détresse morale, mais le chant des cantiques et les ardentes invocations m’accompagnent quelques instants dans la verte campagne, entre les vergers fleuris de blanc et de rose, sur cette route enchanteresse.