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RÉFLEXIONS
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chemins de fer, de grandes lignes de navigation, de banques renommées et dont la prodigieuse richesse ne peut être évaluée. L’autre sorte de millionnaires se compose d’hommes n’ayant pas de fortune ni d’argent, mais doués d’une âme généreuse, vibrante, capable d’apprécier et de goûter les admirables spectacles que nous offre la nature et les manifestations artistiques : musique, tableaux, livres, statuaires, nobles cathédrales, ruines antiques. Ceux-là dont la vie est illuminée par la beauté et le sentiment, qui ont la faculté de s’enthousiasmer, sont les vrais riches. Les autres sont les faux riches. Leurs millions signifient néant. Ils n’ont pas plus de valeur que la fumée qui s’élève de la cheminée de ma petite maison de campagne.

En une occasion spéciale, j’ai vu le vide de cœur et d’imagination des faux riches. Je revenais d’Angleterre à bord du grand paquebot Empress of Britain qui faisait sa première traversée. Parmi les passagers se trouvaient une dizaine de millionnaires qui s’efforçaient de se distraire en jouant au shuffle board. Comme nous passions devant l’Île d’Orléans dont la côte était toute proche, l’on voyait sur le bord du fleuve les pittoresques et calmes demeures des fermiers, puis les vergers et les champs cultivés un peu en arrière et, plus loin, les montagnes fermant l’horizon. Le soleil couchant mettait sur ce paisible et bucolique paysage un rayonnement qui le faisait paraître dans toute sa beauté. Moi, simple journaliste, j’étais tout vibrant, ravi, transporté par cette admirable scène. Froids, imperturbables, les millionnaires, eux, poussaient avec un long bâton une rondelle de bois et tâchaient de la placer sur l’un des numéros d’un espace quadrillé sur le pont. Le grandiose spectacle qui s’offraient à eux, ils ne le voyaient pas. Ils étaient aveugles à cette vue enchanteresse. Moi, j’avais éprouvé une joie dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence.

N’achetez pas les œuvres complètes d’un auteur. Vous ne les lirez jamais toutes. Faites l’acquisition d’un volume à la