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IMAGES DE LA VIE

enfants autour de la table, nous avons l’atmosphère de notre maison, nous avons notre table de famille.

Mon camarade me jette un regard désapprobateur.

— Ça, c’est du luxe, me dit-il. Moi, j’ai des goûts simples et manger à la cuisine me suffira. Puis, songez. Si jamais vous tombiez dans l’infortune, si la malchance vous frappait et que vous seriez privé de toutes ces choses que vous m’énumérez si complaisamment, vous seriez infiniment malheureux.

— Il n’y a là aucun luxe. Seulement, je prends pour moi et les miens ce que vous réservez pour les visiteurs. Ce sont des choses modestes dont il serait très regrettable de se priver, parce que nous pourrions être obligés de nous en passer un jour. Ce sont ces petites choses qui resteront peut-être le plus longtemps dans la mémoire. Ce sera par l’évocation de la salle à manger de leur enfance que nous resterons dans le souvenir de ceux qui nous survivront. Qu’ils gardent donc de cette pièce la vision la plus agréable possible. Vaines paroles.

Mon camarade mangera quand même dans sa cuisine.

Ses tasses et ses assiettes seront aussi simples, aussi frustes que ses idées, que son cerveau.

Certes, il n’a pas de grandes aspirations.

Il ne fait pas de grands rêves.

Il n’a pas de grands désirs.

Il n’a pas de grands enthousiasmes.

Il manque totalement d’imagination.

Comme un cadran que l’on néglige de remonter, son intellect est arrêté depuis des années, depuis sa sortie du collège et il est resté stationnaire depuis. Il n’a fait aucun progrès, il n’en fera jamais. Il est resté le même.

Toujours son existence sera terre à terre.

Il vivra sa petite vie.

Il trouvera sa joie à manger dans sa cuisine.

Et il aura beaucoup d’enfants.