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IMAGES DE LA VIE

Aline se mourait de soif mais elle ne pouvait même se lever pour aller boire, sa tante l’obligeant à se tenir tranquille à sa place. Le voyage parut très long à la petite fille.

À Joliette, les militaires débarquèrent aux sons des clairons et des tambours et se formèrent en rangs pour la parade. La tante Martine, très fière de ses oripeaux, monta dans une voiture ouverte à deux chevaux pour se faire conduire chez sa sœur Malvina qui habitait une petite maison en bois à l’autre bout de la ville. Majestueuse dans sa toilette de gala, la brave dame traversa les rues encombrées par la population endimanchée, pendant qu’Aline, plutôt honteuse, se faisait toute petite à côté d’elle.

Lorsque le carrosse fit enfin halte, Aline sauta à terre, embrassa sa tante Malvina, puis courut à la pompe boire une tasse d’eau fraîche. Enlevant ensuite sa robe blanche pour ne pas la salir, et gardant seulement son jupon, elle s’élança vers le jardin plein des fleurs éclatantes de l’été. Elle était extasiée, ravie, allait de l’une à l’autre, les embrassait amoureusement, avec passion, collant ses lèvres rouges à leurs rouges corolles, et s’exclamant : « Ma tante, que c’est donc beau ! » Et à chaque cri, c’était un nouveau baiser sur une nouvelle fleur.

Son âme s’épanouissait comme les glorieuses pivoines de ce petit jardin de campagne.

Ah ! les belles fleurs ! Comme elles étaient plus belles, plus parfumées, plus sympathiques que celles qu’elle voyait chaque dimanche au cimetière avec sa mère. Celles-ci n’exprimaient pas des regrets ; elles n’étaient pas arrosées de larmes ; elles avaient poussé pour la joie des yeux et il ne fallait pas être vêtu de noir pour les voir. On pouvait les regarder gaiement, sans contrainte, debout ou en courant, et non agenouillé comme pour les autres, à côté d’un petit tertre, près d’une croix…

Blonde comme une abeille, Aline butinait dans chaque calice. Tout son être vibrait d’une joie profonde comme elle n’en avait encore jamais éprouvé. Elle parlait aux fleurs, les caressait comme si elles eussent été des amies très chères…