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IMAGES DE LA VIE

désireux d’exprimer le meilleur qui était dans la nature, pourquoi ne formeraient-ils pas, au milieu de l’énorme multitude des profanes, une société d’hommes qui, animés du même idéal, exerceraient leur art comme un sacerdoce, en vivant fraternellement, comme les membres d’une seule famille ?

La proposition rencontra l’entière approbation de ces jeunes gens vibrants de foi et d’enthousiasme.

À la suggestion du fondateur et pour se rapprocher le plus possible des grands modèles dont ils s’inspiraient, il fut décidé que les ressources des douze amis seraient mises en commun, tout simplement. Aucun d’eux n’aurait de bourse privée, personnelle. Et pour commencer, le Peintre-Poète prit deux pièces d’argent qui étaient dans sa poche et les déposa sur la cheminée. Quelques autres l’imitèrent, mettant là leur maigre avoir. D’autres, et pour cause, ne mirent rien du tout.

Ainsi fut fondée, il y a quelques quinze ans, à Londres, la Société des Douze Apôtres de l’Art.

Les jours s’écoulèrent.

Dès que l’un des Douze Apôtres de l’Art avait vendu un tableau, une petite toile, il arrivait et déposait sur la cheminée, le prix qu’il en avait reçu. Pareillement, lorsqu’il en avait besoin pour manger, se loger, se procurer un vêtement, chacun des frères puisait sur la cheminée, à la cassette commune.

Un immense enthousiasme régnait parmi la petite communauté. Tous étaient animés des sentiments les plus nobles, les plus généreux. Au cœur de l’énorme ville de sept millions d’hommes, les douze apôtres de l’art vivaient un rêve de beauté et de bonté comme le monde n’en avait pas vu depuis longtemps.

Les Douze Apôtres de l’Art !

Sur les douze cependant, il n’y en avait que deux dont les œuvres se vendaient, trouvaient des acquéreurs : celles du Peintre-Poète et celles de son ami le plus cher. C’était toujours eux qui mettaient sur la cheminée l’or que les autres se partageaient pour subvenir à leurs besoins.