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IMAGES DE LA VIE

SES YEUX[1]


Aux heures de rêve :

De grands yeux bleus encadrés d’or.

Les grands yeux bleus d’Aline semblaient avoir été taillés dans l’azur du ciel. Ils en avaient la douceur et le charme, la mystérieuse attirance. Un regard de ses yeux était la plus divine des caresses. Ils emplissaient l’âme d’un bonheur infini.

Et Dercey en les regardant, se rappelait les iris du jardin de son enfance, en campagne. Alors qu’il était tout petit garçon, en s’éveillant, le matin, au printemps, il sortait sur la galerie de la vieille maison, descendait les quelques degrés du perron et allait voir les iris qui s’étaient ouverts pendant la nuit dans le modeste parterre. Il respirait le parfum de ces fleurs et il était heureux pour tout le jour. À près de quarante ans de distance, les yeux d’Aline lui versaient la même joie, la même ivresse.

De grands yeux bleus encadrés d’or.

Aux heures mauvaises :

Après les trahisons, Dercey retrouvait les mêmes grands yeux bleus qui semblaient refléter tout le pureté de l’azur. Ils n’étaient que le mirage de l’amour. Ils étaient comme ces mares éclatantes qui cachent toutes les boues, toutes les fanges, toutes les laideurs, mais qui reflètent à leur surface le ciel, ses nuages et l’enchantement et la beauté du monde.

Des yeux impénétrables comme la vie : implacables comme la destinée.

Des yeux opaques comme un lac sans fond.

Les yeux de Celle dont l’âme est un gouffre inaccessible aux sondes.

  1. Page du roman Lamento.