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LIBATION AU CIMETIÈRE


Si son père n’avait pas contrarié ses goûts, n’avait pas violemment heurté son inclination, Martial Desmoines serait sûrement devenu un citoyen comme tous les autres, ni meilleur ni pire que la majorité des jeunes gens de la localité. On l’a fait dévier de sa voie, il s’est égaré et sa vie s’est terminée par une tragédie. Le garçon avait vingt-trois ans. C’était un grand gaillard, solide et fort, qui semblait bon pour se rendre à quatre-vingt-quinze ans. Il était le fils du fermier Vital Desmoines. Ce dernier, un brave homme voulait le bien de son fils. Issu d’une famille dont tous les membres avaient toujours suivi le droit chemin, il était comme eux et avait des idées arrêtées sur la morale. Sur ce sujet, il ne badinait pas. Son existence avait toujours été calme et il n’avait jamais commis d’erreurs graves. Alors, il était respecté et estimé de tous ceux qui le connaissaient. Naturellement, il aurait voulu que son fils suivît son exemple. Dans ces derniers temps cependant, il avait été mis au courant de rumeurs qui circulaient au sujet de Martial et elles le troublaient. On disait que son garçon rencontrait souvent une fille de mauvaise vie, Emma Giroux, belle grosse blonde qui avait deux enfants. Tout d’abord, le père Vital crut qu’il s’agissait là de racontars inventés par des mauvaises langues. Tout de même, il se promettait d’avoir à la première occasion un entretien avec son fils à ce sujet. Elle se présenta plus tôt qu’il ne s’y attendait. Un jour qu’il était monté au champ, il aperçut Martial arrêté dans le carré de pommes de terre et causant avec la fille en question. Celle-ci qui avait vu venir le vieux s’éloigna immédiatement en emportant un panier de patates. Évidemment, elle voulait éviter une scène ou une discussion. Le fils qui voyait approcher son père n’avait pas bougé.