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LE PENDU


La maison de Magloire Restaire, l’ancien charron, une maison en brique, à deux étages, au village, près du pont, a été vendue ce matin. C’est le dénouement d’un drame arrivé l’hiver dernier.

Alcoolique invétéré, Restaire, l’homme à la grande barbe noire, s’est un gris matin de février pendu dans son grenier. Il avait bu toute sa vie et, depuis longtemps, il était à charge à sa famille.

Au milieu des siens, il était moins qu’un étranger.

— S’il pouvait disparaître, soupirait quelquefois sa femme.

Après un nouveau méfait de l’ivrogne :

— S’il pouvait disparaître, chuchotait-elle à quelques voisines.

Dans un besoin de se vider le cœur :

— S’il pouvait disparaître, faisait en écho le chœur de ses enfants.

Et ce souhait lui venait si souvent, la phrase lui était devenue si familière, qu’il lui arrivait de la prononcer à portée des oreilles de son mari lui-même.

— S’il pouvait disparaître, avait répété sa fille.

Comme s’il reprenait un refrain :

— S’il pouvait disparaître, faisait en écho le chœur des voisins.

Restaire était donc renseigné sur les sentiments de ceux qui l’entouraient.

Certes, sa pauvre femme n’était pas très blâmable de formuler de tels désirs, car Restaire ne lui avait jamais causé que des désappointements, des chagrins et de la honte.