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LA SCOUINE

s’était fixé dans cette place, il châtrait, châtrait, sans remords, détruisant l’œuvre de la nature avec la sérénité que procure une besogne qui rapporte.

La Scouine était à balayer son devant de porte, lorsque Bagon fit son apparition un avant-midi de mai. Il portait son sac de cuir en bandoulière. En arrivant, il se dirigea vers Deschamps occupé à appointir des piquets. Les deux hommes causèrent un moment puis le père commanda à Charlot qui vernaillait par là, d’aller chercher les taurailles. Celui-ci siffla son chien Gritou et partit. Il revint au bout d’une dizaine de minutes, chassant devant lui huit ou neuf têtes de bétail parmi lesquelles un superbe veau entièrement noir. Ç’avait été le préféré de la Scouine la saison dernière, et il était reconnu pour être le plus beau des animaux de son âge dans tout le rang. Charlot fit passer les bêtes dans la cour, puis sur l’ordre de son père, fit entrer le jeune taureau dans l’étable. L’animal alla se placer à sa stalle accoutumée, mais Charlot l’en fit sortir, et l’attacha à la première place, près de la porte. Il jeta ensuite une petite poignée de sel dans l’auge devant lui, et le veau safrement, s’attaqua à cette friandise à grands coups de langue.

La Scouine inquiète apparut pour voir ce qui se passait, mais Deschamps lui ordonna de rentrer à la maison. En compagnie du Coupeur, il pénétra dans le bâtiment. Bagon ouvrit son sac, et en retira les bois, puis son couteau, dont il essaya la lame sur son pouce, par une vieille habitude. Une corde en nœud coulant fut attachée à l’une des pattes d’arrière du bœuf et Charlot fut chargé de tenir l’autre bout en tirant, afin de l’immobiliser. Le Coupeur s’approcha de l’animal, lui donna en manière de ca-