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LA SCOUINE

Mâço, les larmes aux yeux, se rappelait qu’au jour de l’an dernier, elle en avait servi au repas de famille. Ce fut ensuite un pommier. Des pommes encore restaient aux branches. Plusieurs se détachèrent sous le choc et tombèrent sur le sol. Raclor en ramassa une qu’il porta à sa bouche, mais il la jeta immédiatement loin de lui, car elle était rongée par les vers.

Dieu, la triste épreuve pour Mâço, les tristes souvenirs ! C’était justement Tifa qui vers l’âge de dix ans lui avait aidé à planter ce pommier. Et elle sanglotait. Chaque coup porté sur les arbres lui résonnait dans la poitrine, éveillait un écho infiniment douloureux.

— Seigneur, Seigneur, soupirait-elle, quelle croix !

Raclor présentement avait attaché une chaîne au pied d’un cerisier. Les chevaux tiraient, et les racines de l’arbuste cédaient, craquaient, cassaient, s’arrachaient, comme les membres d’un homme que l’on aurait écartelé. Mâço avait la sensation qu’on lui arrachait le cœur, les entrailles. Et elle pleurait, elle pleurait sans fin… Ah ! ce jardin qu’elle cultivait depuis les lointaines années de son entrée en ménage, ce jardin dont elle avait bêché la terre, ces arbres qu’elle avait plantés elle-même, qu’elle avait soignés, comme s’ils avaient été des êtres humains, d’autres enfants ; ces arbres qu’elle avait vu grandir, tout cela était rasé, dévasté en un jour de malheur et par la main de ses fils.

Elle pleurait, elle pleurait avec des gémissements de vieille femme inconsolable.

Près de la brimbale, la Rougette qu’on retar-