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Page:Laberge - La Scouine, 1918.djvu/138

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LA SCOUINE

jauni et pris une odeur surette, pour suivre leurs maîtres dans la nouvelle habitation.

L’antique huche dans laquelle avait été pétri pendant plus de cinquante ans le pain de la famille n’était plus désormais d’aucune utilité, mais Mâço ne voulant pas s’en départir, on la mit avec les autres meubles.

Charlot, Mâço et la Scouine parcouraient la maison, passant d’une chambre à l’autre, allant du grenier à la cave, afin de ne rien oublier.

La pendule fut le dernier objet que l’on déplaça. Après en avoir enlevé les poids, Charlot la coucha dans un sac de laine cardée et, comme il eût fait d’un enfant malade, la transporta soigneusement dans ses bras et la mit dans le coffre de la huche.

Par un bizarre caprice en cette fin de saison, une maigre poule noire couvait encore à la grange. Depuis trois semaines, elle s’obstinait à rester au nid sur une demi-douzaine d’œufs apparemment non fécondés. Comme elle était d’une maigreur extrême, Mâço ordonna de la laisser, trouvant qu’il n’y avait aucun bénéfice à l’emporter. Pareillement, l’on abandonna sur leur banc, à l’ancien site du jardin, les deux ruches qui depuis des années fournissaient la provision de miel pour l’hiver.

La famille dîna d’une terrine de lait caillé et du restant d’une miche. Ce fut le dernier repas au pain sur et amer, marqué d’une croix.

La Scouine partit pour aller cueillir les pommes dans le vieil arbre, à côté de la clôture de ligne. Elle trouva les enfants du voisin déjà en train de les chiper. Ils déguerpirent en la voyant venir. Il ne restait que quelques fruits. La Scouine les mit dans une taie d’oreiller qu’elle plaça dans le wagon.