Page:Laberge - La Scouine, 1918.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


X.



À SEIZE ans, la Scouine était une grande fille, ou plutôt un grand garçon. Elle avait en effet la carrure, la taille, la figure, l’expression, les gestes, les manières et la voix d’un homme. À cette période de sa vie se rattachait une aventure dont elle ne parlait jamais.

Son père et sa mère étant allés au village avec Charlot, l’avaient laissée comme gardienne à la maison. Au bout de quelques heures, elle s’ennuya d’être seule, et alla faire un tour chez son frère Raclor. Ce dernier était également sorti avec sa femme, et la Scouine ne trouva là que Facette, le garçon de ferme, en train de se barbifier, et un jeune homme du canal venu pour acheter une charge de foin. L’on badina pendant quelque temps et l’employé de Raclor finit de se raser. Farceur, l’étranger demanda à la Scouine si elle s’était déjà fait la barbe. Celle-ci répondit par un haussement de ses larges épaules, sur quoi, son interlocuteur ajouta que ce serait le bon temps, vu que les outils étaient prêts. Facette déclara à son tour qu’il était tout disposé à lui prêter son rasoir et le reste du fourniment. La Scouine remercia en riant. Alors, le jeune homme du canal, un type crânement déluré, lui proposa de la raser lui-même. Son copain applaudit à cette idée.

— On va te faire la barbe, dirent-ils.

La Scouine crut plus prudent de s’en aller, mais il était trop tard. Brusquement, le particulier du