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XXII.



ILS repartirent vers les six heures. La fête était presque finie et tout le monde s’en allait. Devant l’hôtel du village, la rue était complètement bouchée par la foule et toutes les voitures se trouvaient arrêtées. Impossible de se frayer un chemin à travers cette masse humaine. C’était à croire que l’auberge allait être prise d’assaut. Les nouveaux arrivants repoussaient les autres et se faisaient eux-mêmes bousculer à leur tour. On parlait sans se comprendre. Des ivrognes titubaient. Les conducteurs faisaient de vains efforts pour avancer ; ils fouettaient leurs chevaux sans cependant réussir à se faire un passage. Finalement, après un arrêt de vingt minutes, la circulation se rétablit. Charlot suivait à la file. Des gens causaient d’une voiture à l’autre, avant de se séparer. Frem et Frasie Quarante-Sous venaient en avant de la Scouine et de Charlot. Droits et raides comme toujours sur leur siège, ils ressemblaient à des automates.

À l’entrée du village, une petite maison basse, d’aspect misérable, écrasée sur elle-même comme un vieillard centenaire, et précédée d’un étroit jardin planté de tabac, ouvrait toutes grandes ses fenêtres. Bien qu’il fût encore très à bonne heure, des jeunes gens dansaient avec entrain aux sons d’un accordéon époumonné. Le spectacle sentait la crapule et le vice. Frem Quarante-Sous se retourna dans sa voiture :

— Ça danse comme ça tous les soirs, dit-il à